Alors que le gaspillage alimentaire est malheureusement toujours bien présent dans le monde, Vincent Justin et Charles Lottmann fondent ensemble l’enseigne NOUS anti-gaspi en 2018 pour s’attaquer au problème et deviennent ainsi les nouveaux « justiciers de l’antigaspi » français. Ce sont depuis, une quinzaine de magasins qui ont ouvert leurs portes en France et leur développement ne cesse de s’accélérer, porté par une levée de fond de plus de 8 millions d’euros en 2020. Leur objectif est clair, devenir le premier réseau français de magasins d’alimentation générale, dédiés à la vente de produits injustement écartés des circuits conventionnels de distribution et ainsi lutter contre le gaspillage alimentaire. Comment ? En proposant aux producteurs et aux fabricants la revalorisation de leurs produits déclassés et invendus en les rachetant à un prix juste et offrir aux consommateurs un prix attractif tout en leur permettant de consommer à la fois malin, qualitatif et écoresponsable. Rencontre avec Vincent Justin, co-fondateur de NOUS anti-gaspi, qui nous parle de cet ambitieux projet.
Vincent, peux-tu te présenter, parle-nous de ton parcours avant l’aventure NOUS anti-gaspi.
Avant cette aventure, j’ai exercé dans plusieurs domaines, ma dernière entreprise était une agence de design qui faisait de la décoration d’intérieur pour les hôtels. Mon parcours est plutôt entrepreneurial, j’ai déjà créé plusieurs sociétés, mais pas du tout dans le milieu du retail, c’est une première pour moi. Quant à mon associé Charles, il ne vient pas non plus de cet univers-là. C’est notre envie de faire bouger les lignes et de nous impliquer dans une cause responsable qui nous a poussé à nous lancer dans cette aventure.
Peux-tu nous parler de ton concept ? Comment t’est venue l’idée de te lancer dans un tel projet ? Je suppose que tes valeurs humaines et écologiques en sont grandement responsables ?
Le premier constat qui a motivé notre projet est qu’un tiers des produits alimentaires finit à la poubelle. Le gaspillage alimentaire n’est pas seulement présent au niveau du consommateur final, il est partout et concerne toute la chaîne Producteur-Distributeur-Consommateur. Au niveau des producteurs le problème vient essentiellement des produits qui sortent du cahier des charges et des standards de consommation (produits impropres, défectueux, de forme ou couleur différente etc.), ils sont malheureusement mis de côté par les distributeurs. Pour compenser, ils doivent donc surproduire de 105 à 110% afin de garantir le volume des commandes. Du côté des distributeurs, un gros travail a été fait depuis la Loi Garot de 2016. Les supermarchés n’ont plus le droit de rendre impropres à la consommation les produits invendus, ce qui limite le gaspillage. Des partenariats avec des associations ont donc été établis afin de leur faire parvenir les invendus sous forme de dons. Concernant les consommateurs, la sensibilisation contre ce gaspillage ne cesse de s’intensifier avec par exemple le développement d’application éco responsable, des spots publicitaires, reportages, etc.
Nous nous sommes donc penchés sur le problème en amont, c’est-à-dire du côté du producteur. Nous leur avons proposé des solutions en commençant par identifier avec eux les sources de gaspillage, puis nous avons soumis de leur racheter les produits n’entrant pas dans le cahier des charges de leur client habituel avec une décote de 20% à 30% et de répercuter cette baisse de tarif au consommateur final.
Tu me dis que vos tarifs sont 20% à 30% moins élevés que dans les grandes surfaces traditionnelles. Comment avez-vous réussi à convaincre vos partenaires de vous suivre ? Sont-ils de grands groupes ou des producteurs locaux ? Outre l’aspect écologique et social, y a-t-il un autre avantage pour eux de passer par vous ?
Nous sommes très attentifs à avoir un ancrage local, donc on travaille avec des producteurs locaux, qu’ils soient maraichers, agriculteurs à proximité du magasin ou petits industriels. Mais nous travaillons également avec de gros industriels de l’agroalimentaire tels que Danone, etc.
En ce qui concerne les avantages pour eux, il faut comprendre qu’un producteur avec un produit déclassé a 3 solutions. Il peut le jeter mais cela coûte cher, ou le valoriser à l’industrie avec un prix très décoté. Prenons l’exemple d’un producteur de pommes : collecter les pommes trop petites, les mettre en cagette et les rentrer dans le circuit de distribution, engage un coût bien supérieur au prix qu’un industriel peut proposer pour faire de la compote ou autre. Il préfère donc laisser la pomme dans l’arbre tout simplement. Il peut aussi le valoriser auprès de déstockeurs mais avec là encore, un prix très décoté. Notre décote de 20%-30% est moindre, ce qui leur permet de ne pas brader leurs produits invendus tout en participant à la lutte contre le gaspillage alimentaire. C’est donc un partenariat gagnant/gagnant où chacun y trouve un intérêt financier tout en soutenant une cause écologique et sociale.
Quels types de produits proposes-tu dans tes magasins ? Y a-t-il des produits sur lesquels tu rencontres des problèmes particuliers d’approvisionnement ou des produits que tu ne peux malheureusement pas proposer ?
Dans nos magasins, nous trouvons les principaux produits utiles à notre quotidien, fruits, légumes, yaourts mais aussi des produits d’entretien et de cosmétique, l’objectif étant de répondre à toutes les unités de besoins. Évidemment, certains produits sont moins gaspillés que d’autres et donc plus difficiles à trouver pour nous. Prenons l’exemple du beurre qui est justement un produit assez bien consommé et donc moins souvent jeté par les producteurs ou les distributeurs. À ce moment-là nous passons un accord avec les producteurs afin de leur prendre la totalité des 110% de leur production, ce qui leur assure la vente de leur marchandise complète, et nous évite la pénurie sur ce type de produit. En ce qui concerne la viande ou le poisson, l’offre est généralement plus importante que la demande, surtout en ce moment avec la crise. Les restaurateurs sont malheureusement pour la plupart fermés, c’est donc un produit qui n’est pas en pénurie et que nous trouvons facilement dans nos magasins.
En ce qui concerne les dates de péremption, on parle souvent de date optimale pour un produit, mais qu’en est-il réellement ? Y a-t-il un risque sanitaire de consommer certains produits après cette fameuse date ?
On distingue deux types de dates, la DLC (date limite de consommation) et la DDM (date de durabilité minimale). Pour la première, c’est une date à ne pas dépasser pour des risques sanitaires effectifs. Ce sont les produits frais tels que la viande, les œufs, etc. Pour la deuxième en revanche, c’est une date conseillée, nous pouvons donc sans risque consommer les produits une fois la date dépassée. Ces produits subissent simplement un changement d’aspect général (forme, couleur, texture…) Il faut évidemment faire appel à notre bon sens, comme tout simplement sentir ou goûter le produit.
Comment s’est passée l’année 2020 pour vous et comment avez-vous appréhendé cette crise ? Quelles répercussions a-t-elle eues sur vous ?
Nos magasins sont restés ouverts, ceux situés en centre-ville ont continué de tourner sans problème, en revanche nos magasins situés en périphérie ou retail park ont eu plus de mal. La population préférait majoritairement prendre le moins de risque possible en se rendant dans des commerces plus proches de leur habitation. Mais dans l’ensemble, la fin d’année s’est bien passée et le constat est plutôt positif.
Malheureusement de plus en plus de personnes rencontrent des difficultés pour se nourrir correctement, je pense notamment aux étudiants qui se retrouvent en grande difficulté aujourd’hui. Avez-vous constaté une hausse de fréquentation dans vos magasins et comment vos fournisseurs ont-ils réussi à suivre ?
Nous n’avons pas constaté de changement à ce niveau-là puisque les étudiants venaient déjà avant cette crise. Cependant, nous avons remarqué que le Covid-19 a été un accélérateur de tendances pour des personnes soucieuses de consommer autrement et souhaitant privilégier les circuits alternatifs. Nous avons pu nous rendre compte à ce moment-là que nos offres étaient en adéquation avec les tendances du marché, pour des raisons éthiques et économiques. Quelle que soit la difficulté financière dans laquelle sont les personnes, notre solution permet de s’alimenter avec des produits qualitatifs à des prix raisonnables tout en luttant pour une cause commune.
Vous avez récemment fait une levée de fonds de plus de 8 millions d’euros pour accélérer votre développement. Vous comptez aujourd’hui une quinzaine de magasins en Bretagne et 2 à Paris, et visez 50 ouvertures d’ici 2024. Comment allez-vous faire pour atteindre cet objectif ? Allez-vous continuer votre développement en succursale ou vous lancer en franchise et quels secteurs visez-vous en priorité ?
En effet, nous souhaitons accélérer notre développement en France, cette levée de fonds est destinée à atteindre cet objectif. Nous avons une plateforme en Bretagne, à Lille et une à Rungis qui nous permet d’approvisionner Paris et sa proche banlieue. Nous allons également ouvrir une nouvelle plateforme en Rhône-Alpes pour nous permettre d’irriguer ce secteur et nous souhaitons ouvrir rapidement de nouveaux magasins dans l’Ouest de la France, en région Parisienne et en Rhône-Alpes, avec 15 magasins dans chacune de ces zones, et 3 magasins à Lille.
Concernant le développement en franchise nous avons été Lauréats de Passeport pour la franchise, c’est à ce moment-là que nous nous sommes posé la question, mais la conclusion a été de ne pas suivre cette voie. Nous voulons garder la main, mais nous mettons en place un contrat de licence de marque avec nos directeurs de magasins, ils sont actionnaires minoritaires.
Peux-tu nous présenter le type d’implantation que tu recherches, quelle surface et pour quel budget ? As-tu besoin d’être à proximité d’une locomotive alimentaire ou au contraire être loin de tes concurrents ?
Nous visons aussi bien les retail park que les centres-villes même si à l’heure actuelle, nous sommes davantage situés en périphérie. En Retail Park nous recherchons la proximité avec des locomotives alimentaires dépassant les 40 millions de CA et la présence de commerces connexes (Biocoop, Naturalia, ect…) afin de bénéficier du flux et de permettre à nos clients qui ne trouveraient pas tout ce dont ils ont besoin chez nous de pouvoir compléter leur panier. Nous voulons nous situer au cœur d’un pôle attractif et visons des locaux de 450m² minimum pour un prix allant de 90€ à 110€/m².
En centre-ville nous souhaitons trouver des emplacements avec une bonne visibilité, un nombre d’habitants sur la zone de chalandise important et un bon revenu médian. Ici, nous recherchons plutôt des locaux de 250m² à 350m² pour des loyers variables en fonction de la zone et de la ville. Nous visons plutôt du centre-ville pour Lille et Paris, et à la fois centre-ville et zone périurbaine pour la région Rhône-Alpes.
Chez NOUS anti-gaspi, vous pensez que les choses peuvent évoluer, car les consommateurs sont prêts à changer leurs habitudes de consommation. De quels changements parles-tu ? Comment concrètement peut-on devenir dans nos vies de tous les jours, des « justiciers de l’anti-gaspi » ? Faut-il forcément faire des sacrifices ?
Alors il ne s’agit pas d’amener de l’austérité dans notre alimentation, ce que nous proposons c’est un changement dans nos habitudes alimentaires et quotidiennes. C’est une autre façon de consommer en essayant de faire de petits efforts au quotidien.
Typiquement, nous encourageons les personnes à faire preuve de créativité en venant sans liste de courses et en consommant des produits de saison. Parcourir nos allées, se laisser guider par notre imagination et ne plus suivre forcément de recette type. Il est essentiel de sortir de sa routine et d’improviser davantage en composant avec ce que l’on a dans son réfrigérateur. Il s’agit également de repenser notre mode de transport des aliments et des produits d’entretien. Pour cela nous proposons des rayons « vrac » comme pour les pâtes ou le riz, et pour ce qui est de l’entretien et des produits cosmétiques, nous invitons les clients à venir avec leurs propres contenants afin de les remplir sur place. Comme tu le vois il n’y a aucune contrainte, il s’agit juste de consommer différemment.
Pour finir, comment les grands distributeurs voient votre arrivée sur ce marché et votre engagement contre le gaspillage ? Essaient-ils de suivre vos pas ou au contraire êtes-vous perçus comme un concurrent direct ?
Nous avons remarqué que nous étions révélateurs de tendances pour pas mal d’enseignes en ce qui concerne la consommation responsable, puisque nous voyons de plus en plus de rayons « anti-gaspi » s’ouvrir au sein des supermarchés et c’est une bonne chose. Il y a de la place pour tout le monde alors même si demain nous faisons moins de bénéfices, mais qu’en revanche nous avons permis d’actionner un mouvement collectif pour réduire le gaspillage, nous aurons tout et tous gagné !
Merci beaucoup Vincent pour cette interview. Nous vous souhaitons le meilleur et un bon développement !
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